Réveil à 7h30. La nuit a été vraiment très froide, et ce matin il neige donc ça caille vraiment dans la chambre. C’est dommage car on n’aura pas du tout pu profiter de la vue depuis Tengboche, qui parait-il est magnifique.
Pour rejoindre Namche, le chemin commence d’abord par une longue descente dans une forêt de rhododendrons, en fleurs à cette époque de l’année. C’est très joli, on aperçoit même quelques animaux. On croise également beaucoup de convois de yaks et de porteurs qui vont ravitailler Tengboche et le haut de la vallée, ainsi que des groupes de touristes. Le temps change un peu et la neige se transforme en pluie au fur et à mesure qu’on descend. On finit par arriver à la rivière, puis ça remonte un peu jusqu’à Sanasa, l’endroit où différents chemins se rejoignent, en particulier celui qu’on avait pris à l’aller pour rejoindre Phortse. A partir d’ici c’est donc le même trajet que celui emprunté depuis Lukla à l’aller. On s’arrête un peu plus loin à Kyangjuma pour la pause déjeuner, vers 11h.
Après le repas, pendant qu’on boit un petit thé avant de repartir, un groupe de trekkeurs entre dans le restaurant, et le sol se met alors à vibrer. Je commence par me dire que ces marcheurs ont vraiment le pas lourd pour faire ainsi trembler les sièges, mais rapidement c’est tout le resto qui est secoué, et je comprends que quelque chose n’est pas normal. Quelques instants plus tard, alors que personne n’a encore réagi à l’intérieur du restaurant, un type hurle à l’entrée « earthquake ! », et d’un coup c’est la bousculade car tout le monde s’est levé en même temps et court vers la sortie du resto. Sans réfléchir, je suis le guide et on arrive sur une petite place à quelques dizaines de mètres du resto, où quelques villageois se sont déjà rassemblés, certains en pleurs, certains en train de prier. Je vois des grosses pierres dégringoler du haut de la montagne, certaines passant à quelques mètres seulement de nous. Tout le village est violemment secoué, la maison en face semble être en guimauve tellement les murs bougent, j’ai du mal à tenir debout. On entend un grondement sourd, mais on ne voit pas grand chose à cause du brouillard, et la secousse semble durer une éternité.
Lorsque le sol s’arrête enfin de trembler, je croise le regard de notre guide, qui semble terrorisé. Il reprend rapidement ses esprits, mais je réalise vite qu’il est très inquiet, car je suis le seul du groupe à l’avoir suivi. Où sont les autres? Alors qu’on commence à peine à réaliser ce qui vient de se passer, et que des cailloux continuent encore de dégringoler de la montagne, on se redirige vers le resto, et on retrouve heureusement le reste du groupe de l’autre côté du village. Tout le monde va bien, mais on est sous le choc. On constate alors que le resto dans lequel on était tranquillement assis au moment de la secousse s’est en partie écroulé. Il faut quand même qu’on récupère nos sacs qu’on a laissé à l’intérieur dans la précipitation. Les uns après les autres, sans réfléchir, on retourne à l’intérieur récupérer nos affaires. Puis on se rassemble tous sur la petite place.
Il s’est remis à neiger. C’est le moment de faire le point sur la situation. Tout le monde est très choqué, on lit la peur dans les regards, on réalise lentement qu’on a bien failli y passer. Chacun s’empare de son téléphone, mais le réseau est coupé. Une rumeur se propage rapidement: il va y avoir une réplique d’ici 30 minutes. Du coup on attend quelques minutes, en espérant que le pire est passé. On se dit qu’il n’y a pas d’urgence à rassurer nos proches, les médias occidentaux ne parleront probablement pas de ce séisme. Le guide réussit finalement à contacter sa famille, et il nous apprend que le tremblement de terre a été ressenti à Pokhara, à l’autre bout du pays… c’est peut-être plus grave que ce qu’on pense. On attend encore un peu, en se disant que des gens vont forcément arriver de Namche et nous informer sur l’état du chemin. Malheureusement on ne voit pas grand monde arriver. Et qu’en est-il de nos porteurs, qui nous devancent généralement sur le chemin?
Après s’être longuement concertés, on décide quand même de se mettre en marche pour Namche, la peur au ventre. Un chien qui se trouvait là, probablement aussi terrifié que nous, se met à nous suivre. De même que plusieurs autres trekkeurs, rassurés par le fait que notre guide semble bien gérer la situation. Le chemin est dangereux, les dégâts sont très nombreux, il ne faut pas traîner, et on marche à vive allure. A plusieurs reprises il faut franchir des éboulements, et on imagine qu’en cas de réplique on pourrait très bien être embarqués avec.
On arrive assez rapidement en vue de Namche. A l’entrée du village, les enfants ont été regroupés autour d’un lieu de prière. Dans le village, pas de gros dégâts en apparence, mais beaucoup de fissures et de murs écroulés. On hésite sur ce qu’il faut faire, mais on décide quand même de s’installer à l’hôtel, comme prévu, car il a l’air solide et il semble avoir bien résisté (malgré la grosse fissure juste devant l’entrée). Fatigués, on se pose à l’intérieur de la salle de restauration pour prendre un thé.
A peine servis, et alors qu’on pensait pouvoir enfin souffler, l’hôtel se met à trembler violemment. On sort en courant, et on se réfugie sur une place un peu haut dans le village, sur laquelle d’autres personnes arrivent rapidement. Cette réplique dure un peu moins longtemps que la première secousse, mais elle a fait pas mal de nouveaux dégâts dans le village. On commence à bien flipper, car on ne sait pas combien de temps cela va durer, et si on va pouvoir dormir cette nuit en sécurité.
Pour oublier un peu le stress dû à la situation, on décide d’aller faire quelques courses, car c’est le moment où jamais pour acheter quelques souvenirs, mais la plupart des magasins de Namche sont fermés. On va finalement dans un bar pour prendre un verre et se détendre, et on regarde un documentaire sur Sir Hillary (sur le mur de gauche) pendant que la télé (sur le mur de droite) fait défiler les news. On apprend alors que le séisme a été bien plus violent que ce qu’on imaginait alors (7.9 sur l’échelle de Richter), et que les dégâts sont importants à Katmandou et dans tout le pays. Je suis choqué, moi qui ai visité il y a moins de deux semaines tous ces temples maintenant écroulés. Tout à coup tout le monde se précipite hors du bar, et je me retrouve dehors sans même avoir eu le temps de poser le verre que j’avais dans la main… mais en réalité il n’y a pas eu de nouvelle secousse, c’est juste un mouvement de panique causé par le bruit qu’a fait un groupe qui descendait l’escalier… Tout le monde est vraiment tendu.
On rentre à l’hôtel, et on a la bonne surprise de constater qu’au menu de ce soir on va déguster un steak de yak. Rien de mieux pour nous remonter le moral, c’est vraiment excellent, surtout qu’on n’a quasiment pas mangé de viande depuis presque deux semaines. Ensuite on veille un peu (on fait nos cartes postales, on joue à la belote), car on stress un peu à l’idée de se coucher alors qu’on n’est pas vraiment en sécurité. Je réussis alors à envoyer un sms pour rassurer ma famille (qui, comme je l’apprendrai plus tard, était hyper inquiète). On décide finalement de ne pas monter dans les chambres à l’étage, et de passer la nuit sur les banquettes du restaurant au rez-de-chaussée, tout habillé (avec chaussures et doudoune), pour être prêts à courir en cas de nouvelle réplique.
A peine endormis, vers 23h, une nouvelle réplique secoue l’hôtel. On se précipite à nouveau tous dehors, quelques chiens aboient, et les habitants sont tous très inquiets. L’hôtel ne s’est toujours pas écroulé, on retourne donc se coucher, mais je ne suis pas rassuré et j’ai vraiment du mal à m’endormir, malgré l’épuisement causé par cette journée. La nuit va être très longue.